Consigne : Ecrire une nouvelle à partir de cette photo puis imaginer une suite. La photo est extraite de Une Pluie sans fin, de Dong Yue.
C’est un homme que l’on va suivre. Il pleut, il fait noir, il fait gris, il fait triste. Mais il vient de se retourner, contre la marche. Il est à contre-sens, pour un écrivain c’est une situation douloureuse. C’est un souvenir, c’est une lumière, une idée. Il est immobile, les autres le frôlent, l’ignorent, le nient. C’est une lumière, un éclair dans l’orage qui gronde, une voix dans le silence des regards qui se résignent. Un visage parmi des ombres. Dans ces yeux je vois la vérité, la connaissance, la compréhension. C’est une lumière, dans l’ignorance une fulgurance, l’éclat d’une révélation. Ses jouent se contractent, ses pommettes se tendent, ses lèvres vont s’exprimer. Il sait. Cet homme au milieu de la foule hagarde, c’est un homme qui se lève, qui va combattre avec des mots une force unanime, pour défendre la survie d’une race. La race humaine. C’est un enfant au milieu des adultes, un sale gosse capricieux qui est monté sur la table de l’assemblée et qui frappe de sa chaussure à talon pour exiger qu’on l’écoute. Parce que ce qu’il va nous dire est essentiel, parce qu’il ne peut y avoir de vérité plus haute, parce qu’il ne s’agit ni d’une croyance, ni d’une statistique. Parce qu’il en va de notre vie et de notre avenir. Sur cette photo il y a l’instant d’avant. Il y a la chair de poule qui courre sous son pull trempé, la clairvoyance d’un évènement imminent qui rend cette seconde insupportable et l’incite à affronter ses contemporains. Il lui suffira d’un cri, d’un geste, d’un mot pour leur transmettre son savoir et faire s’effondrer leur quotidien. Pourtant, là, lorsque la photo l’a capturé, à cet instant figé pour toujours, la vie autour est encore belle et l’espoir possible. Cette photo c’est l’émotion latente avant les gorges qui se nouent et les yeux qui pleurent. C’est le frisson avant qu’il leur disent.
Hurler dans la foule ne servirait à rien. Il serait couvert par les trombes qui frappent ses compatriotes, alors il cherche. Il se plonge dans ses souvenirs, cherche un moyen de se faire entendre, de réveiller la foule, de la brutaliser peut-être… c’est ça il faut frapper fort. Il ne faut pas hurler, il faut imposer le silence. Il a trouvé. Son plan s’échafaude rapidement, profiter de la force de la nature, exploiter les intempéries qui veulent réduire son action et déjouer la loi qu’elle lui impose. Utiliser la force brute qui veut le battre et la retourner contre elle. Les conditions se déchainent, s’acharnent sur lui ? Tant mieux. Demain ce sera le nouvel an chinois, la ville est envahie de milliers de hauts parleurs surpuissant qui diffuseront de la musique dans chaque ruelle, chaque place, chaque trottoir. Pas une impasse, un pont, un tunnel sans son. Pas même un train, un métro ou un téléphérique n’échappera au réseau savamment installé. Alors il va monter en haut de l’Hôtel de Ville, il va brancher la sono sur le pic du paratonnerre, synchroniser la foudre avec le micro et lorsque la colère des cieux s’abattra, toute la ville vibrera à l’unisson. Le silence qui s’en suivra lui donnera enfin l’occasion de délivrer son message. La messe est dite.