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De l’eau

Texte écrit lors de mon atelier d’écriture.

Consigne : Ecrire ou inventer un souvenir.

La rue du moulin c’était chaque midi à la sortie de l’école, avant le déjeuner, au retour, puis le soir, mon cartable sur le dos. Des trottoirs lisses, propres, pourpres, de belles maisons, des jardins taillés, des arbres peignés, quelques petits immeubles à l’accueil soigné par un concierge vigilant, des volets rouges, bleus ou gris, des fils électriques peuplés de colombes roucoulant aux beaux jours et souffrant en silence au temps du gel, des rideaux qui bougent aux fenêtres obscures, des empreintes dans la neige de la nuit, des coussins de chat, des tridents de moineaux, et quelques traces inconnues des passants âgés invariablement de 7 ou de 77 ans. Le chant faux d’un piano difficile, le gémissement terrifiant d’un violon rebelle et le cri persistant de la flûte du cours de solfège. C’est là, entre les barreaux de la grille impeccable d’un pavillon immaculé que je me suis découvert un superpouvoir. À chacun de mes passages un boxer hargneux hurlait sur mon grand-père et moi à s’en décrocher la mâchoire. Ses yeux noirs me fixaient, sa truffe me reniflait, ses crocs désiraient ma chair tendre. J’étais terrifié. Un midi nous sommes venus avec un sucre. Pendant que le chien fou me suivit, mon grand-père déposa le carré blanc à l’autre extrémité du muret qui nous séparait de lui. Nous recommençâmes 10, 20 fois. Chaque jour ses aboiements se faisaient plus doux. Puis plus rien. Jusqu’au jour où il nous attendait, nous espérait, en bavait devant l’image du sucre qui s’imposait à ses yeux à heure fixe. Je finis par lui laisser prendre le précieux présent dans ma main, l’incitant même à me lécher la paume pour quelques grains supplémentaires. Mon grand-père avait fait de moi un pacificateur et de ce chien un ami pour longtemps..