Consigne : Faire découvrir un personnage petit à petit.
Et après six ans elle la revit. Se pourrait-il que l’émotion ne soit toujours sensible qu’aux même stimuli ? Oui, dans certains cas. Son regard avait machinalement balayé la vitrine du luthier : les clés argentées des clarinettes, les cuivres brillants des trompettes et les bois vernis des instruments à cordes. Elle allait partir quand elle remarqua une baguette de chef posée sur un pupitre en verre au second plan. C’était une baguette blanche, en ivoire sculptée.
Un frisson la fit tressaillir. Ces entrailles se soulevèrent puis retombèrent comme un seul bloc. Elle leva la tête pour comprendre où elle se trouvait, s’interrogeant sur le nom de ce lieu qui avait provoqué en elle cette étincelle qu’elle ne comprenait pas encore. Le nom du magasin ne lui dit rien. Elle entra. Une cloche sonna et le chien de garde près du comptoir se leva. Elle se laissa renifler. La pièce n’était pas grande mais elle était étrangement décorée. Tout ici était recouvert de rouge et de noir. Elle parcourut les rayons jonchés d’instruments : des violons aux têtes finement courbées, des tubas sertis de bagues reluisantes, des percussions aux peaux tendues… elle ressentait quelque chose mais ne pouvait mettre un nom dessus.
C’est alors qu’il vint à sa rencontre. Un homme d’une soixantaine, les cheveux grisonnant, l’œil bleu, les épaules droites. Il lui sourit poliment, peut-être un peu trop, et lui dit : « Bonjour Madame, bienvenue dans mon humble commerce. Je serai ravi de vous venir en aide. ». Elle lui rendit timidement son sourire. « Quel produit recherchez-vous ? Je vois à vos doigts que vous pratiquez les instruments à cordes, n’est-ce pas ? Laissez-moi devinez… serait-ce le violon, le violoncelle, la contrebasse ? » Elle l’écoutait. Ou plutôt non, elle ne l’écoutait pas. Elle ne faisait que le regarder. Il se caressa la barbe en regardant le rayon des cordes.
Il marqua un temps. Sa gorge se noua. Une lumière éclaira son œil droit, bleu acier.
Elle ne respirait plus. Elle se mit à compter les années. Et elle le reconnut. Comment avait-elle pu l’oublier ? Elle l’avait tellement observé, craint, méprisé !! Le chef barbare, la baquette maudite. Trois fois par jour, qu’il fasse jour ou nuit, chaud ou froid, elle avait joué pour les autres, pour leur souvenir, pour leur famille, pour ne pas mourir.
Ne comprenait-il pas ? Leur regard se fit plus précis, plus direct, plus fort… et malgré elle, plus complice. Elle releva le pull à son poignet, découvrit le numéro qui y était tatoué et eu la force de cette menace :
Il se précipita derrière son comptoir, ouvrit un tiroir, en sortit un révolver automatique et… un homme en tenue militaire entra. Sans comprendre la situation, il sauta sur le vieux et l’immobilisa.
Il fut pendu et enterré en silence.