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Joueurs et joueurs

Extrait de la série des textes sur les musiciens.

Faisant dos au public, un dizaine de musiciens assis sur leur chaise.

Seuls, deux font face au public et discutent tout en lustrant leur instrument :

  • Il a l’air dur le chef, tu le connais toi ?
  • Non, c’est la première fois.
  • Il parait qu’avant d’être à la tête du philarmonique il était entraineur d’une équipe de football américain.
  • Nooon ?!
  • Tu vois là, ce n’est pas l’entracte c’est la mi-temps. Ici ce ne sont pas les coulisses, ce sont les vestiaires.
  • Bon sang, ça alors ! Et elle là, c’est qui ?
  • La traductrice.
  • La traductrice ?
  • Tu vas comprendre : il arrive !

Rentre le chef d’orchestre avec deux traits noirs dessinés sous les yeux. Silence pesant, chaque joueur est jaugé individuellement à distance puis le chef parle. La traductrice traduit au fur et à mesure.

 

Chef

 

Traductrice

Vous êtes lamentables, j’ai honte pour vous.

 

Vous avez de la chance qu’il n’y ait pas de miroir dans cette salle, ça vous évitera de voir à quoi vous ressemblez.

 

Je croyais que vous étiez des musiciens. Vous n’êtes que des fillettes. Des fifilles. Des cons, des trous.

 

Je vois qu’il va falloir que je vous redise tout ce que vous devriez savoir. Cet art n’est pas fait pour les gamines. Cet art est fait pour les hommes. L’orchestre est un regroupement d’hommes.

 

Mettez-vous cela dans ce qui vous sert de cervelle : les instruments sont joués par des hommes. C’est un sport d’homme.

 

 

D’ailleurs ce n’est pas un sport. C’est la vie. Et dans la vie, il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent. Winners & losers. Il n’y a que les débiles, les primates ou les impuissants que ça amusent de perdre.

 

Ha ! Qu’est-ce qui se passe, on ose me regarder ? On ne baisse plus la tête ? On n’a plus honte ? On a peut être envie de s’exprimer ? Alors si on a envie de parler, je veux qu’on me réponde.

 

D’un seul mot. A une seule question. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Quel est le but ? Allez ! gueulez-moi ça bien fort ! Tous ensembles. Win, Winners ! Répétez-moi ça. Win, Winners ! Win, Winners ! Win, Winners !

 

Ca suffit.

 

Maintenant je vais vous demander quelque chose. Je vais vous demander dans la deuxième mi-temps de vous servir de vos tripes, de vos jambes, de vos bras, de vos mains, de vos épaules, de vos muscles, de vos poings, de vos yeux, de votre tête, …

 

de vos couilles.

 

Bordel de nom de dieu de putain de nom de dieu de saloperie de merde !

 

Allez, retournez aux vestiaires, pissez, chialez, piaillez et revenez-moi avec des maillots propres. ALLLEZ !

Win, Winners ! Win, Winners ! Win, Winners !

 

Mesdames, messieurs, bonsoir.

 

Je vous remercie. Je me vois en vous et cela me flatte.

 

 

Je remarque qu’il y a parmi vous de nombreuses dames, je m’en émeus.

 

 Je vous propose une analyse succincte de votre prestation. Vous êtes, en sommes, à la fois grâce et sensibilité. Cet ensemble musical est une dédicace à la musique.

 

Il ne faut pas, cependant, négliger l’esprit du compositeur. Il y a dans son écriture de la force et de la vigueur que vous devez mieux restituer.

 

 

L’Opéra que nous présentons ce soir est une œuvre majeure, que vous devez interpréter dans toute sa puissance avec la plus grande générosité envers notre public.

 

Je sais que d’autres chefs ont une vue différentes de la mienne. Certains pourraient me reprocher mon interprétation trop littérale du livret d’origine. N’hésitez pas à partager votre expérience.

 

J’espère que vous saurez garder cette belle unicité pour le reste de la soirée.

Tous ensembles, en harmonie.

 

 

Continuez.

 

Dans le deuxième acte, faites corps avec votre instrument, avec votre voisin, avec les trois rangs de devant, ceux de derrière, la scène, toute la salle… soyez Bayreuth, Viennes, Milan, Paris et New-York ce soir. Vivez. Donnez…

 

et prenez du plaisir.

 

Je vous admire, je vous adule, je vous aime.

 

 

Merci.

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