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Boucle d’Or

Texte écrit lors de mon atelier d’écriture.

Consigne : Ecrire un texte avec des mots imposés : « Le liseur du 6h27 « , « la fleur parfois est un couteau ».

Le liseur du 6h27 aura deux minutes d’avance. Alors je m’approche du camion du fleuriste, je demande à la corneille qui se moque de nous, perchée là-haut sur son taxi jaune, s’il y a des chances que mon ticket de 6h27 passe de ma poche à la poinçonneuse des lilas en fleurs, mais elle ne répond pas. Je crois bien que je vais perdre un œil à ce rythme. Il est 6h28 et je dois encore remonter le temps de trois minutes pour être à l’heure. Je prends une banane au passage, il en pousse partout autour de moi à la vitesse d’un éclair de lucidité. Je cours. Je cours de français d’abord, je cours de math et puis je cours de récréation. Je vais y arriver. J’attrape une rose, je la renifle, elle renifle à son tour…je lui demande pourquoi, elle me dit qu’elle n’aime pas l’eau ! Incroyable, mon amie n’aime pas la pluie. Tant pis, il me reste encore une minute. Je crois que les patates ne seront pas toutes épluchées. Le chemin s’en va en lambeaux… c’est littéralement la déroute ! « Dehors les aristos » que je crie, « Dehors !! » Le temps presse. Il entre à l’arrière et il presse très fort pour rentrer. Rentrer à temps, c’est tout ce qui lui importe. Je vous jure, je mets la fleur dans ma poche, j’entends son cœur battre contre le mien. J’y suis, j’y suis. Encore quelques secondes, quelques centièmes, j’espère que j’en aurais assez des centièmes pour payer le liseur de 6h27. Je crie encore : « On n’est pas à un centième près quand même ! » L’autre corneille me dit que si. C’est pas les gentillesses qui l’étouffent celle-là, c’est le vent qui la porte mais son haleine qui nous scotche. Pourquoi tant de laine, disaient les moutons derrière moi, pourquoi pas du whisky à la place du scotch dit le tondeur de pelouse sur la quatrième de couverture. C’est là que j’ai senti la fleur dans ma poche. Elle veut sortir. Je lui dis qu’elle ne peut pas quitter sa place, qu’elle est ma brise, mon vent parfumé, mon poème, ma verveine, mon Verlaine. Je crois que j’ai dérapé, j’ai trébuché, je me suis pris les pieds dans le maquis, la fleur se raidie, elle est terrorisée, elle se recroqueville dans ma chemise, elle la crève pour ne pas crever, elle perfore tout, me brise le cœur… Le liseur du 6h27 arrive et la fleur parfois est un couteau qui vous retient pour toujours à la première page. Car pour elle, être à la page n’a pas d’importance, ce qui compte pour un bouton qui doit se reproduire, c’est d’être dans le vent et le soleil. J’ai raté mon liseur, mais on a un beau jardin.

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