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L’art de la flute

Extrait de la série des textes sur les musiciens.

  • Bruit de sonnette d’ouverture de la porte d’un magasin.
  • Bonjour monsieur, que puis-je pour vous ?
  • Et bien, en passant devant votre vitrine j’ai remarqué que vous aviez un très beau cor…
  • Oui, je vous remercie, il faut avouer que je prends soin de le mettre en valeur.
  • Est-ce que je peux l’essayer ?
  • Comment ?
  • Bah oui, je ne sais pas s’il me conviendrait.
  • M’enfin, on ne peut essayer mon, mon c…
  • D’accord, je comprends, il est peut-être réservé à d’autres ?
  • Quoi, bah heu oui voilà, c’est ça.
  • Alors, je peux peux-être le louer ?
  • Non, je ne vous permet pas.
  • Ca m’embête parce que je ne veux m’engager pas tout de suite dans un achat.
  • Mais Monsieur, mon corps n’est pas à vendre, espèce de…
  • Ho, mais c’est incroyable, ce cor de chasse en vitrine il n’est quand même pas là que pour la déco ?
  • Haaaaaa, le cor de chasse !
  • Oui, ça fait 10 min que je vous demande si je peux essayer d’en jouer !
  • Ha d’accord, non parce que… oui ok, c’est un quiproquo.
  • Un quipropquo, ha bon. D’accord, vous êtes bizarre. Bien, voyez-vous j’hésite encore. Nous vivons en appartement et je me demande si pour nos voisins…
  • Je vois. Pour être tranquilles, beaucoup de nos clients jouent du cor au bois.
  • Ou… du hautbois, c’est une idée.
  • C’est toujours un instrument à vent.
  • Avant ? Vous voulez dire avant quoi ?
  • Je veux dire un instrument dans lequel on souffle.
  • Ha oui !
  • Avec une double anche.
  • On y souffle par les hanches, dites-vous ?
  • Non, l’anche est ce qui lui donne son vibrato. Au niveau du bec.
  • Et un bec ? Quel drôle d’animal !
  • (Charmeuse) Son timbre puissant et sonore peut aussi se révéler doux et charmeur, clair ou plein de rondeur et de chaleur.
  • Et bien, entre vos hanches et votre cor j’hésite.
  • Sinon je propose de belles flûtes. Nous avons un choix très varié, selon votre expérience, votre budget et le temps que vous nous donnez pour vous satisfaire.
  • C’est-à-dire que…
  • C’est pour un besoin urgent ?
  • Ho vous savez c’est plus une envie qu’un besoin.
  • Très bien, je peux vous assurez que vous trouverez ici la flûte qui vous donnera entière satisfaction.
  • Je ne suis pas expert, comprenez-vous.
  • Je vois, Monsieur vient pour sa première flûte.
  • D’habitude, ce n’est pas moi qui m’en charge.
  • Haaa ?
  • Oui, c’est ma femme. Et nous commençons tout juste alors…
  • Soit.
  • On ne sait pas encore très bien.
  • Encore très bien quoi ?
  • Comment s’y prend-on. On est plusieurs voyez-vous.
  • Plusieurs ?
  • Oui, jusqu’à présent nous étions deux, maintenant avec nos amis, vous savez ce que c’est…
  • Non, je ne suis pas sûr de comprendre.
  • Au début on n’ose pas vous devez connaitre ça. Surtout vous qui êtes de la partie.
  • Comment ?!
  • Avec ma femme, on cherche des idées. Des petits trucs qui pourraient libérer tout le monde. Des astuces de jeu en groupe, qui aident à se lancer. Enfin, je ne vous fais pas de dessin, nous recherchons du plaisir à partager quoi !
  • Ho là là… nous parlons de musique n’est-ce pas ?
  • De chambre.
  • Pardon ?
  • Je veux dire de musique de chambre. Nous montons un petit ensemble.
  • Haaa, oui je vois. Non, parce que j’ai cru un instant à un quiproquo.
  • Un quiproquo… C’est-à-dire ?
  • Et bien, non, c’est juste que j’ai cru que…que c’était pour offrir.
  • Ha oui d’accord. Vous voulez dire une confusion sans doute. Non, la flûte c’est pour moi. Ma femme a son triangle.
  • Silence, échange de regards.
  • Et bien monsieur, sachez que toutes nos flûtes sont réalisées sur place. Nous les taillons ici selon les indications de nos clients.
  • Plaît-il ?
  • A la main.
  • A la main ?
  • Oui. Pourquoi ?
  • Non, non, je pensais que pour une prise en bouche parfaite, la main n’était pas suffisamment précise.
  • Ne vous inquiétez pas, je suis une professionnelle, je connais mon métier.
  • Très bien. Vendez-vous des étuis avec vos flûtes ?
  • Oui. Nous vendons des étuis pour tous nos instruments : du simple pipo de jeune homme au gros saxe américain.
  • Au gros ?
  • Saxe, Monsieur.
  • Ho, vous faites également le saxe ?!
  • Nous sommes de grands travailleurs du saxe, depuis plus de 20 ans.
  • C’est étonnant, cela n’a rien à voir avec la flûte pourtant !
  • Vous avez raison, mais c’est un des grands principes de la maison : mélanger les genres. Le slogan du magasin est « Toutes les musiques et la musique pour tous ! »
  • Il faudrait que j’en parle à ma femme.
  • De nombreux couples s’y sont mis.
  • Mais je ne veux rien précipiter.
  • Vous avez raison, il ne faut pas aller plus vite que le violon.
  • Le violon ?! C’est dingue.
  • Non, d’ingres.
  • Quoi ?
  • On dit violon d’ingres.
  • Ha oui bien sûr.
  • Quant à votre passion, vous avez raison, prenez le temps.
  • En effet.
  • Sachez mettre le ton.
  • Excusez-moi, vous me parlez de ?
  • De votre couple.
  • Ha oui, holà d’accord… Non, parce que j’ai cru un instant à un quiproquo.
  • Un quiproquo ?
  • Inutile d’y prêter attention. C’est une corde sensible.
  • Du violon ?
  • Non, là c’est une méprise.
  • Ca m’arrive tout le temps.
  • Vraiment ?
  • Oui, l’autre jour je vantais les bienfaits de la polyphonie à un client, il me répond qu’il n’est pas poly-gammes !
  • Ha, ha, ha… dites-donc c’est drôlement osé !
  • Oui, je lui ai répondu : « Ha non, monsieur, chez nous on ne se trompe jamais ! »
  • Ha, ha, ha, vous avez l’accroche vous !! LA croche, LA croche… hi, hi, hi ! C’est tordant !
  • Oui, oui. Les jeux de mots quand ça vous tient…
  • Comme le trombone, non ?
  • Comment ça comme le trombone ?
  • Bah ça tient bien le trombone. Hi, hi, hi !
  • (Irritée) Ha oui, oui tout à fait… bon, concernant votre  instrument, flûte à bec ou flute de pan ?
  • Comment ça ?
  • Quoi comment ça ?
  • Vos paons n’ont pas de bec ? Ha, ha, ha !
  • HOOOO, CA VA BIEN MAINTENANT ! VOUS ALLEZ PRENDRE UNE FLUTE TRAVERSIERE, JE VAIS VOUS L’EMBALLER ET VOUS POURREZ ENCHANTER…
  • En chanter ? Comment chanter de la flûte ?
  • Non, ENCHANTER, COMME CHARMER, ENSORCELER, RAVIR, SEDUIRE, CAPTIVER LA REINE DE LA NUIT ! ET PAS DE PIPO JE VOUS VOIS VENIR, NI FLAGEOLET PARCE QU’ON N’EST PAS CHEZ LE PRIMEUR. C’EST CLAIR ET NET ?
  • (Regardant le public) Oui. De la clarinette, c’est une idée. (noir)

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