Bernard et Mary
Exercice de L2 – Lettres modernes.
Inspiré de la fable Le singe et le chat de La Fontaine.
Londres, 22 juin 1962, 1.00pm. Mary est assise sur une banquette rouge en velour capitonné, elle vient de commander un steak très cuit accompagné d’haricots verts aux feuilles de menthe. A ses côtés, Bernard attend une Spitfire et des œufs brouillés au bacon. Elle a 28 ans, lui 46. Il règne dans ce restaurant de Bromley aux allures de pub irlandais une atmosphère de filouterie. « Vous êtes une femme admirable Mary, le monde a besoin de votre talent, de vos idées, de votre vision. », lance Bernard. « C’est essentiellement du travail vous savez », répond Mary, « Beaucoup d’élèves de Goldsmith font aussi bien. ». « Sans doute, mais dans le domaine de la mode, ici, à quelques centaines de miles de Paris, à 45 minutes d’avion des ateliers d’Yves, Christian et Pierre[1] vous avez un atout majeur : votre sexe ! Il est temps que les femmes habillent les femmes. Inventez, surprenez, choquez ! Montrez-leur le chemin Mary. Les jambes des femmes sont des compas qui donnent au monde son équilibre. Montrer les corps, libérez les esprits, renversez-nous.». « Maybe. ».
Tandis que Margie Hendricks hurle à Ray Charles « Hit The Road Jack » dans les haut-parleurs du plafond, le serveur annonce les plats qu’il sert avec application sur la table en formica jaune, prévient que les assiettes sont chaudes, souhaite « Enjoy you meal». Il n’existe pas. Car débute, pour la jeune femme, la lancinante ritournelle d’une autre faim ; le doux poison que vient de lui injecter Bernard se diffuse goutte à goutte dans les veines de la styliste et ne disparaitra qu’à son dernier soupir. Le génie créatif est en marche. Le 10 juillet, à Saint-Tropez, alors qu’elle marche au hasard des rues du vieux village, un cornet vanille-fraise à la main, elle pénètre dans l’impasse du Danube, derrière l’école communale, et découvre la cave à fripes aux milles tissus bariolés de Caroline Merci. Mary y fait l’acquisition d’une jupe courte qui transforme l’étincelle en brasier et lance sa collection à la célèbre minijupe en cuir. Ce fait d’arme lui attire autant d’insultes que de renommée et reste un des symboles de la libération des femmes des années 60. Et Bernard ? Grâce à Mary Quant, Bernard Giberstein fait fortune avec le « collant dimanche » qui porte rapidement le nom de DIM.
[1] Yves Saint Laurent, Christian Dior et Pierre Cartier.
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