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L’exemple

Exercice de L2 – Lettres modernes.

Construire et rédiger un récit à partir d’une sentence.

Le premier jour de sa vie d’écrivain, Victor, les yeux humides de plaisir, pénètre dans la librairie-papèterie Eugène. Il sait qu’ici débute sa carrière. Les étalages en bois devant lui, de vieilles tables d’écoliers recyclées sur lesquelles on a scrupuleusement conservé les gravures réalisées aux compas par les cancres du dernier rang, les messages personnels, les insultes, parfois humoristiques, toujours acides, appliqués au stylo bille et bourrés de fautes d’orthographes, les cœurs brisés, les flèches de Cupidon, les citations, enfin plus prosaïquement les tâches d’encres, les coups de cutteurs et les trainées de peintures maladroits des cours d’arts plastiques, proposent à l’envi des porte-plumes en bois, en ébonite, en fer plaqué, en argent, en or, des plumes pour toutes les écritures, du papier blanc, crème, jaune décliné en vingt-et-un grammages, relié dans des cahiers à spirales, en livrets collés ou bien cousus, aux couvertures cartonnées multicolores et aux décorations pléthoriques. Victor choisit un stylo plume aux couleurs argent, un carnet cousu aux feuilles épaisses avec une couverture en cuire, un signet en soie et un dos nervé. Il prend soin d’ajouter un pot d’encre noire à viscosité moyenne, un buvard bleu, un sous-main en cuir et une règle en bois.

Derrière cette abondance couchée, Victor admire les colonnes chargées de livres aux contenus aussi mystérieux qu’alléchants. Il s’approche de cette bibliothèque merveilleuse et parcourt les titres imprimés sur le dos de chaque ouvrage : dictionnaires de la langue française, bilingues, grecques, latins, étymologiques, méthodes de grammaire, de conjugaison, d’orthographe, de rhétorique, recueils de synonymes, d’antonymes, de citations, glossaires de sciences, d’arts, de tous corps de métier, encyclopédies illustrées en dix, vingt, trente volumes datées et classées. Les colonnes s’élèvent à plus de trois mètres du sol, une échelle mobile permet d’accéder aux ouvrages de la partie supérieure. Victor, songeant à l’harmonie de son bureau en chêne qui lui servira de support dans le petit cabinet qu’il s’est aménagé à cet effet, ajoute à son panier deux dictionnaires et un glossaire.

Il poursuit son parcours dans ce temple de la littérature et s’arrête devant le rayon des grands auteurs. Il a déjà lu plus d’une vingtaine d’ouvrages de cette belle collection. D’une main tremblante, il tente d’extraire un document de l’édifice lorsqu’un fascicule, mû par une force invisible, tombe à ses pieds. Il se baisse et ramasse le livre ouvert à la page quarante-huit. La couverture indique Modeste Mignon, Honoré de Balzac, 1844. Il ne connait pas ce roman. Sans doute une œuvre mineure de l’auteur qui sera restée confidentielle. Il consulte cependant le texte de la page qui s’est spontanément ouverte à lui et lit : « L’habit ne fait pas le moine est surtout applicable à la littérature. Il est extrêmement rare de trouver un accord entre le talent et le caractère. ». En effet, se dit-il, ce n’est pas le meilleur de Balzac.

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